Si le luxe est marqué depuis toujours par une certaine empreinte RSE liée à son essence de transmission, le savoir-faire que leur fabrication requière ou encore la qualité des matériaux utilisés, 2020 aura été une année marquante en termes d’ampleur des engagements pris. Green Bonds de Chanel, Life 360 de LVMH, neutralité carbone chez Kering … Les initiatives deviennent des axes stratégiques majeurs inscrits dans les plans d’entreprise à 2, 5 et 10 ans. Pour la première fois, l’industrie du luxe prend les devants et s’impose des engagements sociétaux et environnementaux plus forts qu’attendus par la société.
Une industrie précurseur en termes de RSE
Le luxe, et ici tout particulièrement l’horlogerie, la mode, la maroquinerie et la joaillerie, se caractérisent dès leur apparition par une forme de ce que l’on pourrait appeler aujourd’hui, une démarche RSE. En effet, parmi elles, une fabrication en petite quantité n’épuisant pas les réserves de matières premières, la réalisation tout ou en partie à la main sauvegardant l’artisanat et assurant qualité et pérennité du métier; la démonstration d’un savoir-faire historique préservant la culture locale et une durabilité permettant la transmission générationnelle, autant de qualités qui font du luxe une industrie précurseur en la matière.
Dès la fin des années 1990, le luxe prend ses premières actions fortes en termes de RSE, supporté par une société davantage sensibilisée à la question. Ainsi, l’industrie au sens large revoit plusieurs de ses axes de fonctionnement et prend le parti d’une communication active sur le sujet :
- Le choix de ses fournisseurs afin de sourcer les matières de façon consciente et raisonnée
- La limitation de son empreinte carbone par des choix alternatifs de transport ou d’approvisionnement
- Refus de cautionner le travail des enfants dans leurs entreprises mais aussi chez leurs fournisseurs
Dans le même temps, au sein de la société, les mouvements pour l’écologie et la déconsommation sont en plein essor et les clients s’attendent à davantage de transparence de la part des marques qu’ils soutiennent. C’est sur cette tendance de fond que de nombreuses start-ups se créent dans les années 2000 autour de la question du sourcing. Ces jeunes créateurs et entrepreneurs agissent comme relai d’opinion et un nouveau marché émerge, celui de la seconde-main. Le virage RSE est en marche.
De grandes marques comprennent l’intérêt d’initiatives RSE qu’ils voient comme des opportunités de différenciation face à des concurrents moins responsables sur le marché. Il s’agit alors de proposer des initiatives différenciantes aux consommateurs.
Ainsi, Weston, entreprise de chaussures de luxe française se lance dans la seconde-main en 2020 avec sa démarche Weston Vintage qui assure la collecte, la restauration et la revente (moins cher) de ses modèles dans son atelier situé à Limoges. L’entreprise communique sur le programme et avoue ne pas générer de chiffre additionnel mais permettre la mise en valeur de l’expertise de leurs cordonniers.
De nouvelles initiatives et un nouveau vocabulaire font leur apparition dans la mode et le luxe avec les notions de labels éthiques, bio-sourcing, up-cycling ou « just in time ». La RSE rentre dans le vocabulaire et l’arsenal commercial et marketing des marques qui en prennent possession afin de satisfaire une clientèle de plus en plus exigeante sur le sujet.
Les bouleversements profonds de l’industrie
C’est grâce à l’industrie qui se structure, impulse le changement et définit les nouvelles façons de consommer que le luxe entre dans une logique de transformation des mentalités. L’industrie impose ces nouvelles normes au secteur qui y adhère. Parmi ces structurations, le « Fashion Pact » et le guide des approvisionnements responsables de la FFPPF sont des exemples marquants.
En 2019, lors du G7 de Biarritz, est signé le Fashion Pact par 32 entreprises du secteur, représentant 150 marques. Il entend limiter l’impact de la filière sur le climat, la biodiversité et les océans via des objectifs fixés à horizon 2030 et 2050. Décrié par les associations et start-ups spécialisé car considéré comme insuffisant (horizons trop lointains, sans aspect contraignant), il réalise néanmoins le tour de force d’aligner 30% des entreprises du secteur sur des engagements communs, des règles de bonne conduite. Le Fashion Pact n’est pas vu comme une fin en soi mais un engagement commun à mieux faire qui doit s’accompagner de plans d’action à court-terme pour chaque entreprise.
Pour citer d’autres exemples de bouleversements, la Fédération Française de Prêt-à-Porter Féminin (FFPPF) publie la même année un guide des approvisionnements responsables soutenant le développement d’une approche RSE. Elle met également à disposition une plateforme « Ressources Green » recommandant des fournisseurs éthiques et responsables, des certifications, du sourcing de matériaux etc.
2020, un grand coup d’accélérateur
L’année 2020 s’est présentée comme un temps de réflexion pour se repositionner, repenser son ADN et le sens de sa marque mais également se rendre compte que ce que l’on faisait avant pouvait être fait différemment (ex. défilés). Elle a ainsi vu naître de nouveaux engagements de la part des marques ou entreprises, s’imposant elles-mêmes une rigueur nouvelle quant à la RSE.
Chanel est probablement l’exemple le plus concret d’engagement avec l’émission de « Green Bonds » (obligations vertes). Le 24 septembre dernier, le géant du luxe émet pour 600 millions d’obligations vertes dont les conditions exigent l’atteinte d’objectifs de développement durable. Plus engageant encore, l’entreprise accepte de se soumettre à des pénalités en cas de non-respect de ses engagements, notamment la réduction de moitié des émissions de gaz à effet de serre de toutes ses activités entre 2018 et 2030.
Autre exemple, celui de LVMH avec son programme « LIFE 360 », successeur de « LIFE 2020 », décrit comme la « boussole environnementale du groupe ». Si « LIFE » (LVMH Initiatives For the Environment) est créé en 2012 et ancre le développement durable dans les plans stratégiques de ses différentes marques, c’est en 2020 avec « LIFE 360 » qu’LVMH s’engage à 3, 6 et 10 ans autour de 4 piliers :
- La protection de la biodiversité
- La lutte contre le dérèglement climatique
- L’économie circulaire
- La transparence
Il fixe notamment deux nouveaux objectifs du groupe : atteindre 100% d’énergie renouvelable dans tous les sites du groupe d’ici 2030 et supprimer le plastique vierge d’origine fossile dans les emballages à horizon 2026.
La marque Gucci quant à elle, avait déjà annoncé en 2019 être neutre en carbone sur sa plateforme RSE « Gucci Equilibrium » et faisait figure d’élève modèle au sein du Groupe Kering. Le Groupe promettait une diminution de 50% des émissions de CO2 d’ici 2025 avec son programme « CARE ». Il y ambitionne également que 100 % de ses fournisseurs répondent d’ici 2025 aux standards définis par le Groupe en matière de réduction de l’empreinte environnementale, de traçabilité, de bien-être animal, d’utilisation des produits chimiques et de conditions de travail. |
À la suite de ces engagements forts, les initiatives se multiplient au sein des différentes maisons : seconde main, blockchain, supply responsable etc. C’est notamment le cas de la collaboration historique entre plateforme de seconde-main et maison de luxe opérée entre Vestiaire Collective et Alexander McQueen.
La RSE dans le luxe est peu à peu passée de caractéristique latente de l’industrie à un souci éthique puis une opportunité liée à la sensibilité des consommateurs ou encore un enjeu marketing et un moyen de différenciation auprès des Millenials. Enjeu compréhensible lorsque l’on sait que « 80 % de la croissance du luxe vient des 23-38 ans » (BCG 2019). Toutefois, l’engagement de l’industrie sur le sujet et la crise en 2020 ont accéléré la transition RSE du secteur du luxe, pro-actif et en avance par rapport aux attentes de la société. Cela a conduit à l’inscription d’engagements durables dans le plan stratégique des entreprises. Plus que jamais en 2020, les engagements pris ont été multiples, profonds, presque contraignants. Au-delà de l’appropriation précurseur d’un sujet de société et d’une conformité aux attentes des jeunes générations, les entreprises du secteur adhèrent à une démarche stratégique et durable, en adéquation avec leurs valeurs et l’ancrent par les contraintes financières qu’elles s’imposent. D’un axe secondaire, la démarche RSE liée à l’environnement s’inscrit désormais dans l’ADN de ces marques, si désireuses de préserver les belles choses.